Quand les musiciens écrivent des livres
Nos interviews avec Drangsal, Hendrik Bolz de Zugezogen Maskulin et Florian Weber de Sportfreunde Stiller montrent une chose : presque tous les musiciens sont des artistes.
Ce n'est un secret pour personne que la pandémie a freiné la vie professionnelle de nombreux musiciens. Mais l'hypothèse selon laquelle c'est la raison pour laquelle nombre d'entre eux se sont mis à publier des œuvres littéraires est tout de même insuffisante. Il semblerait plutôt que le travail permanent sur les textes de chansons et le temps passé entre les concerts constituent un terrain propice à l'écriture de longs récits. Ces dernières semaines, trois musiciens du paysage musical indépendant allemand ont publié des livres très convaincants qui ont été abondamment commentés dans la presse.
Hendrik Bolz und sein Memoire «Nullerjahre» (KiWi Verlag)
Dans l'autobiographique "Nullerjahre", le rappeur surnommé Tiesto dans le duo de rap berlinois Zugezogen Maskulin raconte sa jeunesse dans les quartiers peu reluisants de Stralsund. Dans les années qui ont suivi la réunification, cette ville qui faisait autrefois partie de la RDA a dû faire face à des problèmes sociaux et à des tendances racistes qui ont trouvé un écho auprès des jeunes. Pour Hendrik Bolz, ces premières années du nouveau millénaire ont surtout été une période où les parents étaient absents, car ils devaient s'accommoder de la nouvelle forme d'État. Une période pendant laquelle les forces de droite ont pu consolider leurs structures avec beaucoup de succès. Une époque où l'on avait souvent les nazis dans son propre cercle d'amis, et où, en tant que jeune homme pubère, on était peut-être aussi un peu impressionné par ces types. Dans une interview pour un podcast avec l'auteur de ces lignes, Hendrik dit qu'il a toujours voulu raconter cette période marquante de manière plus détaillée. Aussi pour remettre en question ses propres actions. Musicalement, il l'avait déjà fait avec son groupe en 2015 dans la chanson "Plattenbau O.S.T.".
Il explique ainsi comment l'écriture a fonctionné : "Dans ma jeunesse, ce n'était pas cool de lire, alors je ne l'ai pas fait et j'ai longtemps refusé de le faire, même si je lisais beaucoup quand j'étais enfant. Il y a quelques années, je m'y suis remis et cela m'a procuré beaucoup de plaisir. C'est là que j'ai commencé à écrire. Quand j'étais enfant, j'aimais beaucoup écrire des rédactions, certes pas des nouvelles ou quoi que ce soit, mais j'avais déjà remarqué que cela me convenait. Quand j'ai commencé ma carrière de rappeur, j'ai toujours pensé à me lancer dans l'écriture. Le fait d'être rappeur m'a permis de développer un sens du rythme, des images linguistiques et des tensions, ainsi qu'un style propre. En écrivant le livre, j'ai souvent remarqué que je pouvais le faire, que je sentais quand j'aimais une phrase ou quand je devais encore m'y mettre. Ensuite, ça s'est en quelque sorte déversé hors de moi".
Drangsal und seine poetische Textsammlung «Doch» (Claassen Verlag)
Max Gruber se fait appeler Drangsal en tant que musicien et a sorti l'année dernière son troisième album "Exit Strategy", qui a atteint la sixième place des charts en Allemagne. Il y combine son amour de la musique britannique et de la new wave avec des textes allemands surprenants. En outre, avec son sparring-partner, le rappeur Casper, il compte parmi les podcasteurs les plus populaires du pays. Son premier livre littéraire "Doch" est sorti en mars et est, selon Gruber, "un recueil de textes, même si le mot semble un peu peu glamour". Mais cela correspond bien au sujet. On y trouve des poèmes, des histoires autobiographiques et des récits plutôt surréalistes, dans lesquels Gruber revisite de manière tragi-comique les souvenirs de sa jeunesse. Il dit lui-même qu'il ne s'était pas encore senti le courage d'écrire un roman, mais qu'il a pris beaucoup de plaisir à "s'étaler" en tant qu'auteur.
Dans la plupart des cas, Gruber trouve plutôt prétentieux que des musiciens écrivent des livres : "Quand on entend 'Musiker:in schreibt Buch'. On est alors plutôt enclin à lever les yeux au ciel. Je compare toujours cela à 'un acteur fonde un groupe'. Là, je dis plutôt : 'Ah, non ! Je me suis dit qu'il serait peut-être plus intelligent d'écrire d'abord quelque chose de plus divertissant, un peu 'all over the place', par opposition à une œuvre qui doit être comprise comme un tout. Je pense que je pourrais faire ça un jour. Qui sait ? Mais pour cela, il faudrait que je fasse une retraite un peu plus longue. Je me dis plutôt : je suis en train de devenir un auteur, et avec ce livre, j'ai peut-être fait un pas décisif".
Florian Weber ist mit «Die wundersame Ästhetik der Schonhaltung» schon beim dritten Buch (Heyne Hardcore)
La situation est un peu différente pour Florian Weber. Le batteur et co-auteur des Sportfreunde Stiller se prépare certes au retour du groupe, mais il est déjà bien établi dans le monde de la littérature de divertissement. Son troisième roman "Die wundersame Ästhetik der Schonhaltung bei Ertrinken" est une histoire très imaginative qui commence par un scénario obscur et se poursuit par une histoire qui n'est pas un simple gag. Il y a certes des passages très humoristiques, mais au fond, on a affaire à un mélange de tragicomédie, de roman picaresque, de road movie et d'histoire d'amour.
Pour Florian Weber, l'écriture est entrée dans sa vie par le biais des tournées avec le groupe. "En 2005, nous étions en tournée avec les Sportfreunden dans le bus et les trajets étaient encore un peu plus longs. On parcourait de longues distances et il fallait passer le temps. Je ne suis pas du genre à jouer à l'ordinateur et j'ai commencé à écrire une histoire courte. Je l'ai envoyée à ma sœur, qui m'a dit qu'elle était drôle et que je devrais en écrire plus. C'est ainsi qu'est né le premier roman 'You Never Walk Alone' dans le bus de tournée. J'ai alors réalisé que j'aimais énormément inventer des choses qui, dans le meilleur des cas, divertissaient".