Publié le 21. février 2023

Gojira: «On aime la balance entre le chaos et la maîtrise absolue»

Le groupe de metal français le plus connu du monde est actuellement en tournée en Angleterre et passera par Genève au mois de juin. L'occasion de revenir sur leur album «Fortitude», les causes qui animent le groupe et les liens du batteur Mario Duplantier avec la Suisse. Interview.

Journalist

Depuis plus de 20 ans Gojira (à la base Godzilla) - groupe de metal fondé par les frères Joe et Mario Duplantier (guitare-chant et batterie) et par Christian Andreu (guitare) et Jean-Michel Labadie (basse), ne cesse de s'améliorer et de se réinventer. Nommés pour de nombreux prix, dont des Grammy Awards, notre bande des Landes a réussi à faire rayonner le metal français comme personne auparavant, notamment grâce à ses paroles, souvent axées sur l'environnement et la justice sociale qui ajoutent un supplément d'âme à leur la musique toujours exigeante. Sur scène, leurs live en plus de magistrales démonstrations de virtuosité musicale, sont l'expression des convictions profonde du groupe.

À l'occasion de leur venue en Suisse, c'est avec Mario, lauréat du Drum Recording Of The Year en 2021 que l'on discutera batterie, matos, suisse et engagement, à peine 2 heures avant le concert de Gojira à Manchester. Feu!

Vous êtes actuellement en tournée en Angleterre comment ça se passe?

Super bien, c'est le début de la tournée on en est à 5-6 concerts, nous, on se sent super en forme les retours du public sont bons et nous, on est hyper contents du show qu'on amène alors c'est vraiment positif.

Avant ce tour, vous avez aussi fait une grosse tournée aux USA qu'est-ce que ça vous fait d'être le groupe français qui marche le mieux à l'international?

Nous, on ne se pose pas trop la question parce que finalement tout ça c'est assez subjectif. On évolue dans un style qui est quand même assez marginal alors on relativise. Quand on voit les réseaux d'artistes comme Rihanna ou Beyoncé on en est quand même loin! On ne se sent pas vraiment comme des porteurs de drapeaux français à l'international, honnêtement on n’en parle même pas, par contre c'est clair que c'est super tout ce qui nous arrive c'est vraiment un accomplissement et tout ce que je peux dire c'est qu'on travaille vraiment dur et qu'on essaye d'être les plus subtils et fins dans notre communication aussi mais nous, on est focalisés sur le fait d'être qualitatif et de bien jouer sur scène.

D'ailleurs, en parlant de scène, dans une récente interview ton frère Joe a blagué sur le fait que tu étais incontrôlable en tournée est-ce que c'est vrai?

Non (rires)! Joe a dit ça dans son interview pour Kerrang mais il rigolait! J'ai bien un côté boute-en-train mais en vrai je suis très sage, je suis peut-être même un peu trop sérieux! Des fois, je me dis que je devrais revenir à cet état un peu plus euphorique.

D'autant que vous traitez de sujets sérieux dans vos chansons.

Oui, selon moi, c'est important d'avoir une balance en tant qu’humain. On parle de choses qui sont très premier degré et importante mais ça n'empêche qu'il y a beaucoup d'humour dans le groupe et qu’on sait apprécier les choses simples. Quand il s'agit de notre art on pourrait dire qu'on est un peu comme Apollon sur la symétrie la rigueur presque peut-être une rigidité, mais ce qui nous fascine c'est de maîtriser le chaos et là ça rejoint Dionysos. On peut dire qu'on aime la balance entre le chaos et la maîtrise absolue.

C'est d'ailleurs ce que vous avez voulu amener avec «Fortitude», une sorte d'hymne à jouer fort pour des salles plus grandes!

Ouais carrément. Au fur et à mesure des tournées où l'on a passé beaucoup de temps sur les scènes, on a eu envie d'orienter l'écriture de Fortitude dans ce sens-là. On avait envie que ce soit plus en phase avec notre réalité qui est plus ou moins 90 % de concerts. C'est aussi pour ça qu'on avait ce désir d'épurer un peu les choses et aussi créer des choses que les gens vont pouvoir s'approprier voire chanter avec nous. On avait envie de ce truc un peu cérémonial.

D'autant que pour les gens qui ne sont pas habitués au métal, on peut dire que c'est un style de musique qui se vit plus qu'il ne s'écoute. Tu penses aussi?

Oui je suis totalement d'accord. il y a vraiment ce caractère presque un peu transe où les gens viennent en concert pour se faire du bien pour libérer leur frustration. Il y a quelque chose de très très puissant avec cette musique pour exorciser les pulsions, sortir de la maîtrise, du quotidien, et de toutes les règles que l'on a en permanence. Ce qui ne veut pas dire que notre musique est anarchique et sans règles mais c'est clair que la puissance des riffs et la texture du son ça fait du bien!

Cette puissance, on la sent bien aussi dans votre dernier track «Our time is now» que vous avez sorti pour le jeu NHL 2023! Comment ça s'est fait?

Comme on est chez Warner États-Unis on a eu cette grosse opportunité et on l'a saisie même si aucun de nous ne joue vraiment aux jeux vidéo ou est fan de hockey (rires)! D'ailleurs on joue ce morceau en live et une minute avant le début de cette interview on était en train de discuter avec mon frère sur comment habiller ce morceau au niveau de la production pour faire passer un message. Peut-être mettre une phrase sur un écran pour encourager les gens à croire en eux-mêmes, ne pas lâcher leurs rêves, agir donc on était en train d'en parler juste là et on réfléchit à mettre quelque chose sur notre écran LED!

Cool d'ici le concert de Genève vous aurez décidé, alors on se réjouit de voir ça!

(Rires!) Oui voilà! C'est énorme pour nous de faire cette date à Genève dans cette grande salle, on va y amener un gros show avec une grosse prod.

Maintenant je reviens à votre côté engagé. Vous en êtes où avec les bénéfices de la chanson «Amazonia» que vous alliez reverser aux ONG?

On a récolté à peu près plus de 300 000 $ et on a tout reversé à cette ONG qui s'appelle APIB (The Articulation of Indigenous Peoples Of Brazil). Moi je n'ai pas de lien direct avec eux mais c'est mon frère qui est allé au Brésil et qui a rencontré des gens de l'association et des indigènes. Il y a été accueilli comme un Dieu, car pour eux, qu'un groupe de métal français face ça pour eux c'était exceptionnel. Mon frère y a vécu un baptême et ça a été un moment très puissant pour lui. Un moment qu'il a documenté, et même si je ne sais pas encore ce qu'il va faire de ces images, c'est vrai qu'un jour ce serait bien qu'on puisse montrer tout ça. Moi j'aimerais beaucoup qu'on fasse encore plus d'actions comme ça, qu'on se serve de notre notoriété. C'est quelque chose dont on parle beaucoup avec le groupe, on se pose des questions sur notre propre existence - parce que je ne veux pas être pessimiste et dire qu'on va droit dans le mur, même nous, on participe à ça en tournant en voyageant en étant dans des bus. alors on aimerait vraiment que ce que l'on fait serve à quelque chose. Pour nous il y a un besoin existentiel que ça serve, même si sur le moment c'est du divertissement. Bref on y travaille parce qu'on aime vraiment faire des choses comme ça.

Et vous, vous venez aussi de mettre en jeu une cymbale pour l'association Savage Lands!

Oui c'est un Français qui vit au Costa Rica et qui se bat comme il peut contre la déforestation et c'était ma manière de le soutenir. Il y aurait tellement de causes à soutenir.

Et concernant un futur album. Ton frère a dit que tu étais en feu et que tu avais déjà 1000 riffs de prêts et qu'il était à la traîne... On en est où?

(Rires!) Alors ouais on a des riffs de batterie mais pas que! Moi je chante aussi. Je suis ni guitariste, ni bassiste, mais depuis que Gojira a commencé, il y a énormément de riffs que j'ai chantés, par exemple sur «Backbone», c’est moi qui chante, pareil pour le morceau «Magma». Mais oui, j'ai beaucoup de matos pour l'instant, on se fait écouter nos idées, parfois on se marre, parfois on trouve nul, il faut beaucoup de travail à temps avant d'arriver à quelque chose. Moi je suis hyperactif même quand j'essaie de méditer j'ai des riffs qui viennent dans ma tête, mais j'arrive à m'organiser et après il faut qu'on se retrouve tous les 4 dans une pièce et on jam. Je crois que c'est comme ça que naît un bon album: s'y prendre à l'avance, beaucoup réfléchir, beaucoup essayer alors peut-être que dans le lot de tout ce que j'ai, certains seront sur notre prochain album!

Pardon mais ça donne quoi un groupe de métal qui jam?!

Y a pas vraiment de règles. Ça peut être le guitariste qui lance un riff, moi je mets de la batterie dessus et on va se laisser évoluer et peut-être qu'à un moment on va arriver sur quelque chose qui ressemble à un verse ou chorus. Ou alors ça peut juste être un trip qu'on développe et je peux bosser 10 minutes sur une sur la même cymbale. On peut aussi partir d'un riff de batterie qui a déjà beaucoup de caractère, parce que c'est clair que dans Gojira la batterie est quand même une signature, alors c'est vrai que j'aime bien jouer autour de certains rythmes, trouver un truc qui est mortel rien qu'en batterie, ensuite mon frère pose une guitare dessus est ça peut devenir un riff. Ça s'est monté comme ça par exemple pour «Into the Storm».

Sur quoi tu joues en ce moment?

Là une Tama Starclassic.

Et elle a un surnom, comme ta fameuse batterie qui s’appelait Babar?

Non ça sincèrement je ne suis pas très chaleureux avec le matériel, je ne suis pas un mec qui s'intéresse vraiment à ça. Je dois être un des rares batteurs à pas vraiment être un geek du matos. Pour moi ce n’est vraiment pas ça le plus important. Pour moi c'est ce qui t'anime, quelle énergie tu as quand tu tiens tes baguettes qui compte. Quand tu as serré ta baguette, quelle impulsion tu vas y mettre, comment tu vas jouer avec ton rebond: le son il est là. Alors, on a beau parler de matos, le Zipper, le Tama, en fait pour moi le débat il est à côté... L'important c'est qui tient les baguettes et comment il les tient. Les poignets, les bras, le placement du dos, si tu es trop rigide derrière la batterie le son il va être rigide, moi je vis ça comme ça depuis longtemps alors honnêtement je m'en fous du matos, même si j'ai la chance de jouer avec du matos au top.

Vous êtes déjà venu jouer ici de nombreuses fois, vous avez quel rapport avec la Suisse?!

Moi j’adore la Suisse, j’ai même épousé une Suisse Allemande! La maman de mon épouse s’appelle Suzie et elle habite à Zurich, je lui passe le bonjour! Et même si je me sens lié aux suisses allemands, j’adore Genève, le côté francophone. On a toujours été extrêmement bien accueilli avec beaucoup d'intelligence et le public Suisse est hyper au courant, vachement affûté. D'ailleurs avant, j'écoutais des groupes suisses ils étaient hyper bons, il y avait un truc dans la scène Suisse dans les années 90-2000 qui était fou.

Ah cool quel groupe Suisse vous aimiez?

Unfold on a grandi avec eux! Avec Kruger aussi et tous ces groupes on tournait avec eux, on jouait avec eux et on hallucinait de la qualité de leurs sons et on les trouvait même bien en avance par rapport aux Français!


Et pour finir, on adore vos peintures sur les peaux de batterie! Quel procédé vous utilisez pour faire ça?

J'utilise de l'encre de Chine et de l'eau qui sèchent avec le soleil. C'est une technique ludique et simple que j'utilise en ce moment. Je fais ça en tournée donc simplement je mets de l'eau et de l'encre sur la peau je me retire quelques heures et quand je reviens et que ça a séché avec le soleil j'obtiens cette texture qui est assez fascinante et c'est à partir de là que je crée ces petites histoires avec ces personnages et ces montagnes!

Gojira dont le dernier album «Fortitude» est sorti en 2021, seront sur scène à l'Arena de Genève, le 20 juin 2023 et les places sont disponibles sur le site de Ticketcorner

Tu aimes cet article?